Le traité de l'Elysée a t'il des failles ? 50 ans après, Le Monde dresse un bilan des grandes failles du traité. La preuve qu'il reste encore beaucoup à faire dans les relations franco-allemande !
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Les grandes failles du traité de l'Elysée
LE MONDE GEO ET POLITIQUE | • Mis à jour le Par Frédéric Lemaître - Berlin, correspondant
Dix ans après avoir été réunis à Versailles, les députés français et allemands se retrouveront le 22 janvier au Bundestag pour célébrer en grande pompe le 50e anniversaire du traité de l'Elysée. Cette rencontre spectaculaire sera précédée d'un conseil des ministres commun à la chancellerie, autour d'Angela Merkel et de François Hollande. Les deux chefs d'Etat publieront à cette occasion une "déclaration du cinquantenaire" qui devrait réaffirmer la volonté des deux pays de poursuivre cette collaboration à nulle autre pareille mais devrait comporter peu d'engagements concrets. Face à des socialistes français plein d'allant, les Allemands sont restés sur la réserve. Non sans raison.
Il serait aujourd'hui cruel de dresser un bilan de la longue déclaration - pas moins de 43 paragraphes - publiée il y a dix ans par Jacques Chirac et Gerhard Schröder. Angela Merkel n'attache d'ailleurs pas forcément moins d'importance à cet anniversaire que François Hollande. Symboliquement, la première y a fait référence dans ses voeux le 31 décembre. Pas le second.On ignore ce que Charles de Gaulle et Konrad Adenauer auraient pensé de cette postérité. On sait que, pour de Gaulle, les traités étaient comme des roses ou des jeunes filles - "Ça dure ce que ça dure". Néanmoins, il aurait comparé celui-ci à une roseraie qui saurait fleurir tant qu'on en prendrait soin. Or, le moins que l'on puisse dire est que les jardiniers ont mis du temps à entretenir la roseraie. En 1965, de Gaulle qualifie même le traité de "cordiale virtualité".
La France et l'Allemagne n'avaient pas la même vision de l'Europe. Avant de ratifier le traité, les députés allemands ont d'ailleurs exigé de le faire précéder d'un "préambule castrateur", selon l'expression d'Hélène Miard-Delacroix, auteure du livre Le Défi européen. De 1963 à nos jours (Presses universitaires du Septentrion, 2011). Alors que de Gaulle veut une Europe qui s'émancipe des Etats-Unis et que lui-même s'oppose à l'entrée de la Grande-Bretagne dans l'Europe communautaire, le préambule indique que les objectifs de la République fédérale d'Allemagne restent inchangés, notamment "une association étroite entre l'Europe et les Etats-Unis d'Amérique" et l'unification européenne "en y associant la Grande-Bretagne". Difficile de prendre davantage ses distances avec la politique gaulliste.
D'ailleurs, l'actualité récente montre que le traité aujourd'hui célébré sur tous les tons est loin d'être appliqué. Celui-ci concerne explicitement trois domaines : les affaires étrangères, la défense, l'éducation et la jeunesse. Sur le premier point, les deux gouvernements s'engagent à se consulter "avant toute décision, sur toutes les questions importantes de politique étrangère (...), en vue de parvenir autant que possible à une position analogue".
Il est également fait état d'une "étroite coopération" concernant "l'aide aux pays en voie de développement". Des votes à l'ONU sur l'intervention en Libye (2011) ou sur la reconnaissance d'un Etat palestinien (2012), à la concurrence que se livrent les deux pays sur la scène internationale, les exemples du chacun pour soi sont légion, et pas uniquement ces dernières années.
La coopération économique est également traitée dans le chapitre "Affaires étrangères". On y lit que les deux pays "étudieront en commun les moyens de renforcer leur coopération dans d'autres secteurs (...) tels que la politique agricole et forestière, la politique énergétique, les problèmes de communication et de transport"... Un demi-siècle plus tard, le sujet reste d'actualité. Les infrastructures et la politique énergétique commune figurent en bonne place au rayon des serpents de mer européens.
Sur le deuxième thème, la défense, c'est pire. Vu les désaccords entre de Gaulle et les Allemands sur l'OTAN, il ne pouvait être question d'aller très loin en matière de coopération. Néanmoins, les deux pays doivent "s'attacher à rapprocher leurs doctrines en vue d'aboutir à des conceptions communes" et "s'efforcer d'organiser un travail en commun dès le stade de l'élaboration des projets d'armement". Hormis la brigade franco-allemande et la création d'EADS, tout ou presque reste à faire. Ironie de l'histoire : sur ce sujet gaullien par excellence, Paris est désormais plus proche de Londres que de Berlin.
Reste le troisième point : l'éducation et la jeunesse. Les deux pays devaient "s'efforcer de prendre des mesures concrètes en vue d'accroître le nombre d'élèves" qui apprennent la langue de l'autre. Enfin, un dernier paragraphe prévoit la création d'un organisme pour multiplier les échanges des jeunes entre l'Allemagne et la France. Aujourd'hui, dans les deux pays, l'idiome de l'autre n'est plus que la troisième langue étrangère étudiée, loin derrière l'anglais mais aussi l'espagnol. Concrètement, du programme présenté dans le traité, seul le dernier paragraphe, celui sur l'Office franco-allemand pour la jeunesse, a réellement été mis en place.
Pourquoi célébrer aujourd'hui un texte qualifié par certains de "mort-né" ? Parce que, en fait, le programme ne constitue que le second point du traité. Le premier concerne l'organisation des relations franco-allemandes. Il multiplie des consultations régulières à tous les niveaux : des chefs d'Etat aux responsables de la jeunesse et des sports. De l'avis des intéressés, ce cadre contraignant a constitué un élément essentiel de la mise en oeuvre du moteur franco-allemand. Un élément pas toujours suffisant pour éviter au fameux moteur de tousser mais toujours nécessaire pour le faire tourner.
Entre son arrivée au pouvoir en 1982 et la chute du mur de Berlin en 1989, Helmut Kohl a ainsi rencontré François Mitterrand soixante-quatorze fois. En moyenne, les deux dirigeants se voyaient ou se parlaient tous les vingt jours. Depuis son arrivée à l'Elysée, le 15 mai, François Hollande a rencontré la chancelière à quatorze reprises (dix rencontres internationales souvent précédées d'un tête-à-tête et quatre visites officielles). Leurs échanges téléphoniques ne font plus qu'exceptionnellement l'objet d'une communication.
Moins de vingt ans après la fin de la seconde guerre mondiale, "l'acte lui-même devait dépasser le contenu du traité", résume Hélène Miard-Delacroix. Mais, en raison même de ce passé douloureux, suivi de cette réconciliation unique au monde, en raison aussi de leur poids en Europe mais également des différences culturelles entre les deux Etats, la France et l'Allemagne ont toujours été à l'origine des impulsions décisives données à la construction européenne.
Tout oppose ces deux pays : l'histoire, la géographie (l'un regarde vers l'est, l'autre vers le sud), l'organisation politique (l'un est un Etat fédéral, l'autre incarne l'Etat jacobin), le modèle social (l'un ne jure que par le consensus, l'autre est fier de son passé révolutionnaire), l'importance de la religion...
Si, malgré ces divergences, France et Allemagne s'entendent, il y a de fortes chances qu'une bonne partie des autres pays européens s'y retrouvent. "Certes, il serait souvent plus facile pour nous de parvenir à un accord avec les Pays-Bas, mais cela risque d'avoir moins d'impact", reconnaît en plaisantant un conseiller d'Angela Merkel.
Alors qu'aujourd'hui les tensions sont à nouveau palpables entre la France et l'Allemagne, la simple mise en oeuvre du traité signé il y a cinquante ans constituerait en fait un réel pas en avant.
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